Il n’a été qu’une fois
Un de ces princes que l’on nomme charmant
Il naquit il y a bien longtemps
D’une goutte de fée et d’un soupçon de roi.
Prince il voulait rester
Bien qu’il gouvernait depuis bien des étés
Un peuple aussi nombreux qu’heureux
Mais fort inquiet depuis peu.
De bouche à oreille dans tout le royaume
Comme une traînée de poudre sonore
Cette nouvelle galopait du sud au nord:
Triste était un homme.
En ce pays cela ne pouvait être
Qui cela pouvait-il bien être ?
Nul ne le savait
Tous cherchaient.
Bien gardé, ce secret n’aurait jamais dû être révélé.
Depuis bientôt vingt ans nul n’avait su
Sauf bien sûr ses parents et ce serviteur zélé
Auquel il avait été confié lorsqu’ils disparurent.
Cette nouvelle laissa le peuple abasourdi
Comme vous et moi d’ailleurs
Car il s’agissait bien du Prince.
Le Prince du royaume du bonheur était triste.
Tout le royaume réagit soudain
En s'interrogeant sur la cause de ce chagrin.
Le Prince depuis vingt printemps
Apparaissait les yeux rougis et gonflés tous les matins
Tout le bon peuple en émoi arriva à cette conclusion évidente:
Il manquait une reine à ce roi.
Tout fut fait si gentiment et adroitement qu’il finit par tomber amoureux
D’une de ces princesses soi-disant en ballade.
Tout le royaume retint son souffle, anxieux
Et enfin un matin l’on apprit
Que le Prince ne devait pas avoir pleuré
Car il avait un rendez-vous.
Mais jamais on le ne revit.
Certains affirmèrent qu’en le croisant ce matin
Effectivement ses yeux n’étaient pas gonflés
Mais son nez s’allongeait, son regard se ternissait
Il semblait quelque peu voûté.
Personne ne sut jamais ce qui s’était passé ce matin là.
Toute cette histoire m’avait entraîné bien loin de la moite ambiance de cette boîte de la 45ème rue. Cinq heures, six heures du matin ? Aucune idée, les mégots entassés et les bouteilles renversées prouvaient s’il y avait lieu, le temps passé. New York dormait à poings fermés.
D’ailleurs il n’y avait rien d’original à être entraîné par une entraîneuse, même si loin, sauf que cette fée (j’en étais presque sûr maintenant) avait les talons hauts et une robe pas vraiment vaporeuse. Seul le fume-cigarette par sa longueur s’apparentait à une baguette magique. Les derniers clients se faisaient rares mais je savais qu’elle connaissait la fin de l’histoire. Il était hors de question de la lâcher avant, même si cela devait me coûter encore quelques dollars. Elle leva à nouveau les yeux.
Alors qu’il reposait encore dans son berceau
Sa mère et son père se penchèrent pour ensemble murmurer quelques mots.
Et depuis ce temps
Tous les matins
Au sortir de sa salle de bains
Le Prince semblait avoir versé de nombreuses larmes.
Il n’en était rien, ou tout du moins pas des larmes de tristesse.
S'il avait été possible d'écouter à travers ces lourdes portes
Vous l’auriez entendu rire d’un rire franc et sonore
Qui n’avait d’autre cause que son propre reflet dans la glace.
Car le Prince était beau, si beau que ce sort le protégeait
Et même s’il essayait de se regarder gravement
Tentant de charmer sa propre image
Il ne pouvait se retenir de faire un clin d’œil ou une grimace.
Mais il y eut un matin.
06/01/1982
Feuilles éparses |