Sociétés en voie d'exagération, 1987
Si l'adulte a besoin de croire, dieux ou autres. L'enfant a aussi cette nécessité naturelle, d'une base de données stable dans laquelle il se projette, cherche ses limites, contre et avec laquelle il polit ses armes de vie pour affronter l'univers glacé. L'enfant humain, contrairement à ces congénères du règne animal, est celui qui nécessite la plus longue couvaison affective et éducative. L'acquis ayant, au cours des âges, pris une place prépondérante par rapport à l'inné.
Face à la déstabilisation du divorce, qui n'est plus à prouver tellement elle est d'actualité, " je n'ai jamais demandé à venir au monde " peut-on entendre, l'enfant se trouve confronté de plus en plus tôt à des problèmes qui, comme il le dit souvent, ne sont pas les siens. Il est obligé de jouer une partie dont on n'a même pas pris la peine de lui apprendre les règles. Cela peut apparaître comme un retour de fait à une prépondérance de l'inné, de l'instinct. L'enfant animal devant souvent faire face, seul et isolé, aux agressions ; ne pouvant compter que sur lui-même.
Si l'humain a inventé les dieux pour se rassurer, si l'évolution biologique a favorisé ses connexions cérébrales pour le protéger, si ses structures de groupe lui ont permis de prospérer :
" Maintenant à quoi on joue ? " demande l'enfant.
L'humain contemporain peut effectivement donner de temps à autre l'impression de saborder consciemment et consciencieusement son propre navire. Mutilant avec efficacité et rationalité son environnement naturel, affectif, et spirituel qui, ne l'oublions pas, lui ont permis de devenir ce qu'il est.
Les textes sacrés hindous ont, depuis la nuit des temps, donné un nom à l'époque que nous sommes en train de vivre. Ils l'appellent : Kali-Yuga qui est le quatrième et dernier moment du devenir cosmique : Age de fer, ou âge des conflits.
" Je m'en fous " répondra l'enfant, et il a aussi raison. Cette formule sécurisante est justement un pur produit de notre temps. Mais entre ces deux points de vue extrêmement éloignés, il est peut-être intéressant de chercher à savoir non pas où l'on va, mais comment l'on y va.
La pensée hindoue vieille de plus de trois mille ans, basée sur le cercle ou le cycle, nous replace donc presque au point de départ.
La pensée occidentale actuelle basée sur la droite, rationnelle de progression, avance, toujours convaincue qu'elle fait des pas de géant. Mais elle peut aussi apparaître si ce n'est régressant ou tout du moins figée. A l'image d'un voyageur solitaire qui, ayant traversé quelques déserts et se trouvant dans ce qu'il imagine être un oasis, en fait un mirage, abandonne ses gourdes, son chapeau, son sac et son couteau pour se remettre en marche. Nu ?
Oui nu, comme un désir incontrôlé de strip-tease intellectuel, idéologique, spirituel. Le corps prenant lui aussi de plus en plus d'importance au sein de nos sociétés : culte de la beauté, de la bonne santé physique, du soleil pour les vacances. Mais aussi de la spontanéité, du " naturel ", de l'instinctif, de la sensation. Une autre forme de la nudité, celle de la perception et de l'expression.
Notre temps serait donc un peu au club Méditerranée. Ayant laissé tous ses problèmes professionnels et familiaux à l'aéroport, rangé son complet cravate et caché sa bague de mariage, il est en train de se mettre à poil pour pouvoir découvrir autre chose (la mer), en attendant, il se gave au buffets du gaspillage (à l'extérieur des murs souvent on crève de faim), il s'envoie en l'air avec le premier corps un peu bronzé qui passe par là (attention SIDA).
Il ne pense à RIEN, ON s'occupe de TOUT ; il a payé.
Le seul problème est que sur notre planète il y a plus de gens à l'extérieur du club Méditerranée qu'à l'intérieur et que si l'on se penche sur un télescope, les Clubs Meds ne pullulent pas dans notre petit coin de galaxie. Peut-être dans une des autres ?
Notre temps veut le divorce, son passé, ses acquis le gênent. Il veut du neuf, de la passion pour tout reprendre à zéro.
" Les enfants ?
Ils sont assez grands pour comprendre. On leur expliquera … " |