Un homme sort de chez son médecin, il marche sur un trottoir, n'importe quel trottoir, prenons par exemple celui de droite qui remonte vers Montparnasse, rue de Rennes. Et cet homme se pose cette question, toujours la même :
Gémeaux au Lion, Lion au Gémeaux … ? Gémeaux ou Lion …
Absorbé par cette interrogation il fait soudain demi-tour, monte quatre à quatre les escaliers conduisant à la consultation
- Alors Docteur : Lion au Gémeaux ?
- Je suis désolé d'avoir à vous le répéter, il n'y a plus aucun doute possible : c'est un cancer.
Les vitres du cabinet volent en éclats
Cet homme se posant toujours la meme question se retrouve à nouveau sur le trottoir de droite, Rue de Rennes, en remontant vers Montparnasse.
Les sirènes hurlent leur affolernent, les premiers secours se précipitent, des passants pleins de sang, les yeux dans le vide pour ceux qui ont eu de la chance, déambulent ce trottoir qui est malheureusement n'importe quel trottoir, de n'importe quelle ville d'un monde malade.
Toujours perdu dans ses pensées, l'homme aux questions trébuche sur une masse immobile et s'affale la tête la première dans une mare da sang. A moitié assommé, les yeux pleins d'un sang qui n'est pas le sien il parvient à entendre un secouriste pompier tout en blanc lui demander s'il va bien, que l'on va le transporter à l'hôpital, qu'il ne s'inquiète pas, l'ambulance arrive.
Ensuite on lui tend un micro pour qu'il répète au satellite que tout va bien. Il verra même un ministre, dont le nom lui échappait bien avant de tomber, lui assurant de son soutien, que nous, les institutions, avons le contrôle de la situation, qu'il ne s'inquiète pas puisque le ministre est là.
Mais cet homme a un cancer et il ne veut pas le savoir, tout comme cette ville, ce pays, cette espèce en voie d'exagération que nous sommes, semble se dérégler d'elle-même de l'intérieur.
Cette maladie qui s'attaque aux dernières barrières génétiques, modifiant la programmation des cellules encore en bonne santé pour qu'elles propagent elles-mêmes le mal. Maladie qui semble encore épargner les sujets jeunes à l'exemple des U.S.A., n'ayant pas assez de passé pour que l'on puisse s'y attaquer.
Maladie qui se propage, Italie, Allemagne, Angleterre et maintenant la France. Creusets des renaissances et révolutions industrielles ou non, ayant fait de nous ce que nous sommes. Le terme est : "démocraties avancées " Non ?
Car c'est bien de démocraties et de libertés dont il s'agit. Liberté d'un système apparemment sclérosé puisqu'il retourne la violence contre lui-même n'ayant plus l'exutoire que seules ont gardé les nations puissantes et jeunes (U.S.A., U.R.S.S.) d'exporter leurs conflits. Comme l'ont fait depuis des siècles les sociétés nous ayant précédé, faisant de l'autre, celui qui en devenait différent, l'ennemi.
Bien sûr dans notre cas il s'agit, cela ne fait aucun doute, d'une tentative des pays islamiques révolutionnaires pour déstabiliser l'Occident. Au moins nous avons des certitudes pour nous protéger, tout comme celles qui semblent gouverner nos politiciens.
Mais les bombes sont de plus en plus aveugles, et si c'est une guerre, comme veulent le laisser entendre certains, l'on sait de moins en moins pour qui l'on meurt.
Un nom est jeté en pâture aux foules médiatiques hypnotisées : Abdallah.
Mais à part cela, qui est-il ? D'où vient-il ? Sa libération, pour qui ? Pourquoi ?
Tout cela est bien plus complexe que le simple entendement de ceux qui marchent sur les trottoirs.
La preuve en est ma réaction instinctive et viscérale face à l'horreur et qui dicte ces lignes. En essayant de comprendre ce dérèglement, comme une cellule saine que je crois être, je nourris la contagion. Surinformé, comme nous le sommes tous, je n'ai pas eu besoin de réagir au premier attentat de septembre à Paris, ni au second, ni même au troisième, pourtant au quatrième j'en viens logiquement à ce que veulent les poseurs de bombes. En terrorisant les foules, il est sûr qu'à la longue on ébranle ceux qui sont à leur tête.
Ce n'est pas non plus en postant un policer à chaque coin de rue ou de frontière, ni en encourageant la délation que nous pourrons enrayer le phénomène, c'est un peu comme anesthésier un cancéreux.
Si l'on veut établir un diagnostic, il faudrait à l'image de l'évolution de la médecine moderne se pencher sur le sujet dans sa totalité, ne pas isoler la maladie ou se contenter de ne lutter que contre ses manifestations visibles.
Agir, certes avec les moyens qui sont à notre portée, mais limiter l'action de ceux qui peuvent favoriser la maladie. La délation est affectivement un bon moyen d'entretenir un climat d'insécurité au sein d'une société.
Mais surtout chercher des thérapies nouvelles pouvant faire face à cette lâcheté.
Quelqu'un proposait récemment de bloquer l'accès aux médias pour tout ce qui concerne les attentats. Très bonne idée, mais est-ce encore matériellement possible ? Contrôlons-nous cet univers médiatique qui semble si bien servir les causes désespérées ?
Notre monde est malade, ces bombes n'étant qu'un des symptômes de cette maladie, mais cela n'a jamais voulu dire qu'il soit condamné.
Il l'est à coup sûr, si nous continuons de garder les yeux fermés.
Gémeaux ou Lion ?
Lion ou Gémeaux … ?
Signé : un de ceux qui marche sur les trottoirs.
Septembre 1986
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